Les sciences d’implémentation et la recherche translationnelle étaient à l’honneur à la conférence rapportée par Niquille et ses collègues [1] dans ce numéro du Forum Médical Suisse. Sciences jeunes, leur appellation et méthodes sont en développement. Au Canada, on parle de recherche translationnelle; aux Etats Unis, de sciences d’implémentation et de dissémination et l’ Organisation mondiale de la Santé (OMS) parle de recherche en implémentation. Le programme pour contrer l’épidémie de VIH des Etats-Unis définit les sciences d’implémentation comme «l’étude des méthodes pour améliorer l’adoption, la mise en œuvre et la translation des résultats de la recherche en pratique courante – d’explorer les meilleures façons d’appliquer les connaissances et les découvertes aux défis auxquels font face les communautés» [2, 3]. Ces sciences sont nées du constat des limites des méthodes de recherche classiques pour apporter des solutions concrètes à des épidémies globales comme le VIH et les maladies chroniques [2–5].
De T1 à T4, un modèle pour définir les étapes de la translation
Pour le Fonds National de Recherche Scientifique (FNRS), les programmes d’encouragement en «médecine translationnelle» sont des études «à la jonction entre recherche fondamentale et clinique» [6]. Un exemple typique d’étude «bench-to-bedside» serait de tester l’efficacité d’une molécule prometteuse sur la base de tests en laboratoire dans un nombre restreint de patients en clinique. Aux Etats Unis, le «National Institute of Health» (NIH), instance principale de financement de la recherche médicale, propose un modèle de recherche translationnelle en 4 étapes (fig. 1) [7–9]. Les étapes T1 à T4 représentent les quatre principales étapes de translation d’une découverte scientifique dans les services de santé et la communauté en général. A chaque étape, son domaine de compétence et ses méthodes. Pour suivre l’exemple de la translation d’une molécule prometteuse dans le système de soins; après des études d’efficacité de la molécule dans un nombre limité de sujets malades (T1), des essais cliniques de phase 2 et 3 (essais cliniques sur volontaires sains, essais cliniques d’efficacité comparés à un placebo ou une autre molécule) ou encore des revues systématique d’études d’efficacité font partie de la médecine translationnelle T2. Une fois la molécule sur le marché et dans le système de soins, les études d’impact sur le budget de santé et sur la santé d’un groupe de patients, les études pour augmenter la prescription de la molécule par les professionnels de santé font partie de la recherche translationnelle T3. Enfin, les études d’implémentation dans d’autres services de santé et de sociétés telles les initiatives de santé globales font partie de la recherche translationnelle T4. Si on suit ce modèle, les méthodes et travaux présentés par les intervenants au Symposium organisé à la Policlinique médicale universitaire (PMU) de Lausanne correspondraient à des étapes T3 et T4.
Les sciences d’implémentation: nouvelles méthodes pour atteindre les objectifs
Les sciences de l’implémentation sont résolument interdisciplinaires, mariant des technique issues de la sociologie, de l’économie, des sciences politiques, de l’anthropologie, de la philosophie des sciences [5]. Leur richesse se reflète dans la multitude de modèles proposés comme cadre théorique et support méthodologique [10]. L’outil PRECIS-2, présenté lors de la conférence, permet de monitorer différentes étapes d’efforts d’implémentation. Un autre outil couramment utilisé pour planifier des études d’implémentation du domaine T3 est le modèle «Reach, Effectiveness, Adoption, Implementation, Maintenance» (RE-AIM) [11, 12]. Si les études randomisées contrôlées se concentrent sur l’efficacité de l’intervention («Effectiveness»); le modèle RE-AIM permet de collecter systématiquement des données sur les personnes invitées à participer («Reach»), les participants ayant réellement participé («Adoption»), les efforts des investigateurs pour modifier les pratiques («Implementation») et le maintien des effets de l’intervention au long cours («Maintenance»). D’autres modèles comme PRECEDE-PROCEED proposent de planifier tout le processus de compréhension des besoins, de conception, de mise en œuvre et d’évaluation de programmes de santé publique avec l’audience visée par le programme [13]. Récemment, reconnaissant la multitude de cadres théoriques nécessaire pour penser et planifier l’implémentation de découvertes scientifiques, un groupe interdisciplinaire a proposé un «Consolidated Framwork for Implementation Research» (CIFR), permettant de caractériser les attributs qui influencent l’adoption d’innovations comme l’environnement, l’organisation, l’innovation et leur mise en œuvre [14, 15]. Pour l’instant, aucun modèle n’a démontré de supériorité par rapport à un autre dans des études comparatives. Le choix du modèle d’implémentation est déterminé par le contexte d’implémentation, les exigences des instances de financement ou encore l’expérience des investigat-rice-eur-s dans l’utilisation d’un modèle.
Disséminer les sciences d’implémentation en Suisse
La tenue du symposium et la publication de son compte rendu dans le Forum Médical Suisse est une formidable opportunité de continuer à signifier l’importance des sciences d’implémentation pour améliorer le système de santé et la santé de la population suisse en général. En termes de financement de recherche, le récent NFP74 «Smarter Medicine» donne les moyens à 29 équipes de chercheu-se-r-s en Suisse de développer et tester des méthodes pour améliorer le système de santé. Cependant, le NFP74 a une durée limitée à 4 ans, et il y a des incertitudes majeures sur le devenir des sciences de l’implémentation après le NFP74. Une intégration du modèle T1 à T4 par le FNS permettrait de quantifier l’allocation des ressources dans les étapes T1 à T4. Sans rigueur dans la dénomination de ce qui est compris par recherche translationnelle, et surtout sans moyens pour développer la capacité scientifique de développer les étapes T2 à T4, les résultats de la recherche fondamentale resteront dans les laboratoires et institut de recherche clinique où les études T1 sont conduites. Si le constat est que très peu est, ou ne peut être alloué par le FNS aux domaines T2 à T4, des solutions innovantes de financement devraient être mises en place. Aux Etats Unis, le «Patient-centered Outcomes Research Institute» (PCORI), une instance de financement ad-hoc, a été développée en partenariat avec les acteurs actifs dans les étapes d’implémentation [16].
Espérons que des initiatives comme la tenue du symposium à la PMU sera suivie d’autres évènements sur la même thématique, que des financements ad-hoc pourront être trouvés et que la prochaine génération de chercheu-se-r-s pourra se former à ces techniques nécessaires pour apporter de la méthode aux projets visant à changer notre système de santé et la communauté au sens large.
Disclosure statement
L’auteur a déclaré d’être au bénéfice de fonds de recherche soutenus par le FNRS 407440_167519 dans le cadre du programme NFP74 «Smarter Medicine» et IICT 33IC30_173552 dans le cadre du programm «Investigator Initiated Clinical Trials» (IICT).
Correspondance
Prof. Dr méd. Reto Auer Berner Institut für Hausarztmedizin (BIHAM), Universität Bern, Bern Policlinique Médicale Universitaire (PMU) de Lausanne Rue du Bugnon 44 CH-1011 Lausanne reto.auer[at]biham.unibe.ch
Références
1 Niquille A, Lengeler C, Treweek S, Meurice F, Bonsack C, Senn N. Translating and implementing research – From bench to bed… to real world! Forum Med Suisse. 2018;18(15):321–324.