Quand le silence prend patients, médecins et assureurs-maladie à contre-pied
Dénosumab

Quand le silence prend patients, médecins et assureurs-maladie à contre-pied

Editorial
Édition
2018/08
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2018.03203
Forum Med Suisse 2018;18(08):167

Affiliations
Service de Médecine Interne et Centre des Maladies osseuses, Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), Lausanne

Publié le 21.02.2018

Le dénosumab est un anticorps monoclonal qui peut être prescrit par tout médecin. Il est bon marché, efficace, ­facile à administrer et bien toléré. Il est remboursé en Suisse depuis le 1er octobre 2010 pour: (1) traiter l’ostéoporose et (2) prévenir la perte osseuse sous traitement antigonadique lors de cancer du sein ou de la prostate.
L’arrêt du dénosumab s’accompagne d’un effet rebond sévère. Les marqueurs du remodelage osseux s’élèvent au-dessus des valeurs avant traitement pendant 2 ans, et le gain de densité minérale osseuse (DMO) est complètement perdu en un an [1]. Les fractures vertébrales spontanées (FVSs), le plus souvent multiples (médiane 5), surviennent 8 à 16 mois (médiane 11,2 mois) après la dernière injection de Dénosumab [2]. Dans les études avec un suivi de 9 mois ou de 12 mois après la dernière injection de dénosumab, ce risque était de 7% [3, 4]. Cependant, la durée du suivi n’était pas suffisante pour capturer toutes les FVSs. Le risque réel de fracture (en l’absence de prescription de bisphosphonate) pourrait être d’environ 15% [5]. Le rebond biologique pourrait être partiellement atténué par certains bisphosphonates prescrits au début et/ou à la fin du traitement de dénosumab. Le zolédronate prescrit à l’arrêt du dénosumab atténuerait la perte de DMO lombaire mais pas sur la hanche.
Le rebond à l’arrêt du dénosumab est connu depuis 2008. A ce jour, aucune étude n’a été publiée sur la gestion de cet effet rebond. Il a fallu attendre la découverte fortuite, dès l’été 2015, de plusieurs cas de FVSs multiples à l’arrêt du dénosumab en Suisse (28 à Lausanne en 2 ans) pour que l’effet rebond devienne un sujet d’intérêt. Suite à ces annonces, Swissmedic a informé la communauté médicale à 2 reprises (12.2016 et 09.2017) des risques à l’arrêt du dénosumab (perte de DMO potentiellement plus élevée que le gain, FVSs multiples) et de bien évaluer les risques et bénéfices avant d’initier ce traitement. La Suisse est le seul pays au monde à avoir adopté cette stratégie. Dans les autres pays (USA, Communauté européenne, etc.), la démarche a été toute autre. C’est le fabricant qui a approché les autorités sanitaires pour leur signaler ce risque de fracture tout en mettant à disposition ses bases de données montrant que ce risque est identique au groupe placebo. Aussi bien la «Food and Drug Administration» (FDA) que l’«European Medicines Agency» (EMA) n’ont pas jugé utile d’informer la communauté médiale. Seule la notice explicative du médicament a été modifiée. La position de l’EMA interpelle car elle remet en cause l’information venant du terrain: «The scientific value of stimulated non-study reports of fractures occurring after treatment is questioned as it increases the uncertainty of the data.» Dans les congrès spécialisés de l’ostéoporose, le risque de FVSs et la gestion de l’arrêt du dénosumab ne sont pas ou rarement abordés.
Les patients, les médecins, les caisses-maladie se trouvent malgré eux dans une situation impossible. Il faudrait modifier les critères de remboursement des médicaments de l’ostéoporose comme le montre le cas rapporté par notre confrère dans ce numéro (prescrire un bisphosphonate alors qu’il n’y a plus d’ostéoporose! [6]). Au vu des risques et des bénéfices, le dénosumab ne devrait plus être prescrit en prévention de la perte osseuse, ni chez les patients intolérants ou refusant un bisphosphonate, peu adhérents, insuffisants rénaux ou dont la fonction rénale pourrait s’altérer. Le temps d’un moratoire n’est-il pas nécessaire en attendant les études randomisées contrôlées qui définiront les stratégies d’utilisation du dénosumab?
L’auteur n’a pas déclaré des obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis.
Prof. Dr méd. Olivier Lamy
Service de Médecine Interne et Centre des Maladies
Osseuses, CHUV ­ BH10-624
Rue du Bugnon 44
CH-1011 Lausanne
olivier.lamy[at]chuv.ch
1 Bone HG, Bolognese MA, Yuen CK, et al. Effects of denosumab treatment and discontinuation on bone mineral density and bone turnover markers in postmenopausal women with low bone mass. J Clin Endocrinol Metab. 2011;96(4):972–80.
2 Anastasilakis AD, Polyzos SA, Makras P, et al. Clinical Features of 24 Patients With Rebound-Associated Vertebral Fractures After Denosumab Discontinuation: Systematic Review and Additional Cases. J Bone Miner Res. 2017;32:1291–6.
3 McClung MR, Wagman RB, Miller PD, Wang A, Lewiecki EM. Observations following discontinuation of long-term denosumab therapy. Osteoporos Int. 2017;28:1723–32.
4 Cummings SR, Ferrari S, Eastell R, et al. Vertebral fractures after discontinuation of Denosumab: A post hoc analysis of the randomized placebo-controlled FREEDOM trial and its extension. J Bone Miner Res. 2017 Nov 4. doi:10.1002/jbmr.3337.
5 Lamy O, Gonzalez-Rodriguez E. Underevaluation of vertebral fractures after denosumab disontinuation. J Bone Miner Res. 2018; in press.
6 Lehmann T. Limitierte Osteo­porosebehandlung. Schweiz Med Forum. 2018;18(8):182–4.