Acromégalie avec cardiomyopathie dilatée sévère
Plongée au cœur de la maladie
Peer-review

Acromégalie avec cardiomyopathie dilatée sévère

Le cas particulier
Édition
2024/08
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2024.1321179343
Forum Med Suisses. 2024;24:1321179343

Affiliations
Centre hospitalier Bienne, Bienne: a Clinique de médecine interne
b Endocrinologie/diabétologie, Clinique de médecine interne
c Cardiologie

Publié le 23.08.2024

* Co-premiers auteurs

Contexte

L’acromégalie est causée par une tumeur bénigne de l’hypophyse, qui produit un excès d’hormone de croissance (GH). Elle touche légèrement plus les femmes avec une prévalence annuelle d’environ 60 cas par million d’habitantes et d’habitants [1]. Un pic de prévalence a lieu dans la quatrième décennie de vie [2]. Les atteintes multi-organiques liées à l’hypersécrétion de GH sont [3]:
  • augmentation de la taille des mains et pieds avec hyperplasie des tissus mous;
  • hyperhidros;
  • augmentation du tour de tête avec saillies osseuses proéminentes, bosse frontale, prognathisme et macroglossie;
  • troubles ostéo-articulaires: syndrome de compression nerveuse, syndrome du tunnel carpien, ostéoarthrite, cyphose cervico-dorsale;
  • syndrome d’apnée du sommeil;
  • hypertension artérielle;
  • diabète;
  • troubles visuels ou céphalée par effet de masse;
  • hypogonadisme;
  • nodules et cancer thyroïdiens;
  • cancer colorectal;
  • cardiomyopathie progressive jusqu’à l’insuffisance cardiaque.

Présentation du cas

Anamnèse

Un patient de 27 ans, non-fumeur, consulte les urgences en raison d’une dyspnée progressive depuis trois mois et une toux sèche. Il a noté des palpitations à l’effort. La nuit avant son admission, il a présenté une orthopnée avec cinq épisodes de nycturie. Il y a six mois, il pratiquait le fitness deux fois par semaine. Il y a trois mois, il a reçu un traitement empirique contre l’asthme prescrit par son généraliste, qui reste sans effet. Le patient ne prend pas d’autres médicaments. L’anamnèse familiale retrouve un père diabétique décédé subitement à 46 ans. Les nombreux membres de sa famille sont grands. Le patient lui-même a des grands pieds et des grandes mains, et a gagné une pointure de chaussure il y a quatre mois. Il a eu une puberté normale, avec arrêt de la croissance staturale.

Examen clinique

Le patient se présente normotendu, normocarde, non fébrile, tachypnéique à 30 respirations/min, avec une saturation normale entre 91 et 95%.
On constate une taille de 195 cm, un prognathisme mandibulaire, un grand périmètre crânien, des saillies osseuses marquées et une macroglossie. Les mains sont grandes avec des doigts tuméfiés. Pointure des chaussures 48. L’auscultation cardiaque révèle un troisième bruit cardiaque avec un souffle holosystolique. Le patient ne présente pas d'œdème des membres inférieurs et il est euvolémique.

Résultats

Le bilan biologique est normal, excepté une augmentation des D-dimères à 883 µg/l, de la créatine kinase (CK) à 667 U/l, de la bilirubine à 33 µmol/l et du N-terminal précurseur de peptide natriurétique de type B (NT-proBNP) à 2033 ng/l. Les troponines sont normales. La gazométrie artérielle révèle une insuffisance respiratoire partielle avec une pression partielle d’oxygène (pO2) et de dioxyde de carbone (pCO2) diminuées à 61,8 mm Hg et 34,1 mm Hg, respectivement.
La radiographie du thorax indique une cardiomégalie. L’électrocardiogramme met en évidence un rythme sinusal avec un haut voltage dans toutes les dérivations, un intervalle QRS à 106 ms et des ondes T négatives diffuses (fig. 1).
Figure 1: Électrocardiogramme à l’admission avec des ondes T négatives en I, II, aVL, aVF, V4–6 et un haut voltage.

Examens diagnostiques complémentaires

L’échocardiographie met en évidence une cardiopathie dilatée (diamètre télédiastolique du ventricule gauche 100 mm, norme [N] <52–58 mm) associée à une hypokinésie diffuse du ventricule gauche avec une fraction d’éjection à 12% et un épanchement péricardique. Il coexiste une légère insuffisance mitrale et une ectasie aortique annulaire. L’angioscanner thoracique écarte une embolie pulmonaire, mais indique des épanchements pleuraux bilatéraux et un œdème interstitiel pulmonaire, compatibles avec une insuffisance cardiaque décompensée.
Un aperçu des étiologies possibles d’une cardiopathie dilatée est présenté dans le tableau 1.
L’imagerie par résonance magnétique (IRM) cardiaque n’indique pas de signes pour une ancienne myocardite ou pathologie infiltrative (fig. 2). Une coronarographie écarte une étiologie ischémique.
Figure 2: Imagerie par résonance magnétique cardiaque, séquence/pondération T1 en coupe coronale (A) et coupe sagittale (B) montrant la dilatation et la masse ventriculaire gauche augmentée, ainsi qu’un épanchement péricardique.
Finalement, la saturation à la transferrine et la thyréostimuline (TSH) sont normales. Les sérologies rhumatologiques et du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) sont négatifs. On ne constate aucun trouble électrolytique majeur.
Face à une suspicion d’acromégalie, le dosage de l’«insulin-like growth factor 1» (IGF-1) et de la GH revient pathologique, respectivement à 54,3 nmol/l (N 10,9–33,7 nmol/l) et 113 mUI/l (N <9). Un bilan hormonal des autres axes hypophysaires permet d’exclure une insuffisance corticotrope ou une co-sécrétion de prolactine souvent associée. Une insuffisance thyréotrope et gonadotrope sont écartés. Un test de suppression de la GH confirme une acromégalie. Une IRM hypophysaire signale la présence d'un macroadénome hypophysaire de 19 × 19 mm, avec suspicion d’extension intracaverneuse mais sans danger immédiat pour le chiasma optique (fig. 3).
Figure 3: Imagerie par résonance magnétique cérébrale, séquence/pondération T1, après injection de produit de contraste, en coupe transversale (A) et coupe sagittale (B) montrant le macroadénome hypophysaire de 19 × 19 mm avec suspicion d’extension intracaverneuse (cercle).

Diagnostic

Le diagnostic retenu est celui d’une acromégalie floride associée à une insuffisance cardiaque sévère. L’étiologie retenue de la cardiomyopathie est l’acromégalie, après exclusion des autres étiologies possibles.

Thérapie

Sur le plan endocrinologique

Un traitement freinateur par octréotide (somatostatine synthétisée) est débuté. Une injection mensuelle de forme retard au dosage de 30 mg est administrée en parallèle à trois doses quotidiennes de 0,1 mg aux huit heures pendant deux semaines.

Sur le plan cardiovasculaire

Une thérapie de l’insuffisance cardiaque par inhibiteur de l’enzyme de conversion (IEC), aldostérone et bêta-bloqueur est instaurée. Au vu du risque d’arythmie pouvant causer une mort subite, le patient est rapidement équipé d’un gilet-défibrillateur type «LifeVest®», afin d’éviter l’implantation d’un défibrillateur permanent (défibrillateur automatique implantable [DAI]).

Évolution

Après trois mois de thérapie, le niveau d’IGF-1 s’améliore. Une chirurgie de résection transsphénoïdale a lieu un mois plus tard. L’analyse histologique de la tumeur indique un adénome somatotrope, en présence d’une immunohistochimie positive pour le «pituitary-specific positive transcription factor 1» (PIT-1), la GH et plus rarement pour la prolactine et l’hormone chorionique gonadotrope humaine alpha (α-HCG). L’analyse est négative pour le «steroidogenic factor 1» (SF-1), l’adrénocorticotrophine (ACTH), le TSH, l’hormone folliculo-stimulante (FSH), l’hormone lutéinisante (LH), et Islet-1.
Par la suite, le niveau de GH se normalise, mais pas l’IGF-1 qui est légèrement augmenté témoignant d’une sécrétion résiduelle sur résection incomplète de l’adénome. La thérapie d’octréotide est donc maintenue. Une consultation de génétique écarte une origine génétique connue de l’acromégalie ou de l’insuffisance cardiaque.
La combinaison sacubitril/valsartan est préféré aux IEC pour une réduction optimale de la mortalité et de la morbidité, en utilisant la dose maximale tolérée. Au contrôle échocardiographique un mois post-opératoire, on constate une fraction d’éjection ventriculaire gauche encore sévèrement réduite à 20%.
Le patient est mis sur la liste d’attente pour une transplantation cardiaque. Entretemps, il a bénéficié de l’implantation d’un dispositif d’assistance ventriculaire gauche permanent (LVAD), ainsi que d’un DAI.

Discussion

Au moment du diagnostic d’acromégalie, 66% des patientes et patients présentent une atteinte cardiaque et 90% la développeront [4]. La prévalence de l’hypertrophie ventriculaire gauche est prédominante au moment du diagnostic mais la majorité des personnes concernées ont une fraction d’éjection ventriculaire gauche normale au repos. L’acromégalie a des effets négatifs sur le système cardiaque en raison de la présence de récepteurs de GH et d’IGF-1 sur les myocytes cardiaques [5]. Cela peut entraîner une hypertrophie cardiaque, une augmentation de la contraction cardiaque et une dysfonction vasculaire [6]. L’hypertension, la résistance à l’insuline et la dyslipidémie peuvent également jouer un rôle dans ces altérations. La cardiomyopathie acromégalique peut se développer en trois étapes: hypertrophie cardiaque précoce, dysfonction diastolique intermédiaire et insuffisance cardiaque finale avec des signes de cardiomyopathie dilatée [7].
Dans le cas de notre patient, l’atteinte cardiaque est très importante et correspondrait à l’étape finale de la cardiomyopathie acromégalique. Une exposition d’une dizaine d’années est donc probable.
Le traitement optimal devrait permettre de retirer complètement la tumeur pour résoudre l’effet de masse, préserver la fonction hypophysaire et rétablir une sécrétion normale de GH et d’IGF-1. Les options thérapeutiques comprennent la chirurgie, l’irradiation, les analogues de la somatostatine, les agonistes de la dopamine et les antagonistes du récepteur de la GH [8]. L’adénomectomie transsphénoïdale est le traitement de choix et doit être réalisée dans un centre expérimenté. Bien que le résultat de la chirurgie soit bon dans la plupart des microadénomes et des macroadénomes non invasifs, il reste décevant dans les adénomes de plus grande taille et négligeable dans les tumeurs invasives. Il existe une controverse sur l’utilité d’une thérapie médicamenteuse préopératoire pour améliorer le résultat de la chirurgie.
Les taux élevés de GH, l’hypertension et les maladies cardiaques constituent les principaux déterminants négatifs de la survie [9]. Environ 60% des patientes et patients meurent de maladies cardiovasculaires, 25% de maladies respiratoires et 15% de tumeurs malignes. À long terme, le pronostic de l’insuffisance cardiaque est mauvais avec un taux de mortalité de 25% à une année et plus de 35% à cinq ans [10]. Cependant, la mortalité due aux néoplasies augmente en comparaison à celle due aux maladies cardiovasculaires comme mentionné dans le dernier consensus sur l’acromégalie [11].
En théorie, il existe une réversibilité partielle de l’atteinte cardiaque [12–15] et des autres manifestations acromégaliques, qui est difficilement prédictible individuellement et qui dépend de l’agressivité de la tumeur hypophysaire (concentration et durée de l’hypersécrétion hormonale) comme l’illustre le cas de notre patient.

L’essentiel pour la pratique

  • L'acromégalie est causée par une tumeur hypophysaire qui sécrète en excès de l’hormone de croissance.
  • L’évolution de la maladie est lente, raison pour laquelle le diagnostic est souvent retardé.
  • Les symptômes sont très variés, mais une familiarisation du tableau clinique par les médecins de premiers recours permet une meilleure détection de la maladie.
  • L'acromégalie est associée à des comorbidités comme les maladies cardiovasculaires, le diabète et l’hypertension artérielle.
  • Pour le diagnostic de l’acromégalie, le test de freinage au glucose est le test de confirmation, car une dosage de l’«insulin-like growth factor 1» (IGF-1) normale n’exclut pas une acromégalie.
  • La thérapie de choix est une résection de l’adénome hypophysaire, en cas d’échec des traitements médicamenteux sont possibles.
Eric Mugnier, médecin diplômé Clinique de médecine interne, Centre hospitalier Bienne, Bienne
Therese Brix, médecin diplômée Cardiologie, Centre hospitalier Bienne, Bienne
Eric Mugnier
Stadtspital Zürich Triemli
Birmensdorferstrasse 497
CH-8063 Zürich
Eric.mugnier[at]stadtspital.ch
1 Holdaway IM, Rajasoorya C. Epidemiology of acromegaly. Pituitary. 1999;2(1):29–41.
2 Rajasoorya C, Holdaway IM, Wrightson P, Scott DJ, Ibbertson HK. Determinants of clinical outcome and survival in acromegaly. Clin Endocrinol (Oxf). 1994;41(1):95–102.
3 Colao A, Ferone D, Marzullo P, Lombardi G. Systemic complications of acromegaly: epidemiology, pathogenesis, and management. Endocr Rev. 2004;25(1):102–52.
4 Sharma AN, Tan M, Amsterdam EA, Singh GD. Acromegalic cardiomyopathy: Epidemiology, diagnosis, and management. Clin Cardiol. 2018;41(3):419–25.
5 McMullen JR, Shioi T, Huang WY, Zhang L, Tarnavski O, Bisping E, et al. The insulin-like growth factor 1 receptor induces physiological heart growth via the phosphoinositide 3-kinase(p110alpha) pathway. J Biol Chem. 2004;279(6):4782–93.
6 Castellano G, Affuso F, Conza PD, Fazio S. The GH/IGF-1 Axis and Heart Failure. Curr Cardiol Rev. 2009;5(3):203–15.
7 Saccà L, Cittadini A, Fazio S. Growth Hormone and the Heart. Endocr Rev. 1994;15:555–73.
8 Pivonello R, Auriemma RS, Grasso LF, Pivonello C, Simeoli C, Patalano R, et al. Complications of acromegaly: cardiovascular, respiratory and metabolic comorbidities. Pituitary. 2017;20(1):46.
9 Melmed S. Medical progress: Acromegaly. N Engl J Med. 2006; 355:2558.
10 Bihan H, Espinosa C, Valdes-Socin H, Salenave S, Young J, Levasseur S, et al. Long-term outcome of patients with acromegaly and congestive heart failure. J Clin Endocrinol Metab. 2004;89(11):5308.
11 Fleseriu M, Biller BMK, Freda PU, Gadelha MR, Giustina A, Katznelson L, et al. A Pituitary Society update to acromegaly management guidelines. Pituitary. 2021;24(1):1–13.
12 Colao A, Cuocolo A, Marzullo P, Nicolai E, Ferone D, Della Morte AM, et al. Is the acromegalic cardiomyopathy reversible? Effect of 5-year normalization of growth hormone and insulin-like growth factor I levels on cardiac performance. J Clin Endocrinol Metab. 2001;86(4):1551–7.
13 Damjanovic SS, Neskovic AN, Petakov MS, Popovic V, Vujisic B, Petrovic M, et al. High output heart failure in patients with newly diagnosed acromegaly. Am J Med. 2002;112(8):610.
14 López-Velasco R, Escobar-Morreale HF, Vega B, Villa E, Sancho JM, Moya-Mur JL, García-Robles R. Cardiac involvement in acromegaly: specific myocardiopathy or consequence of systemic hypertension? J Clin Endocrinol Metab. 1997;82(4):1047–53.
15 Fazio S, Cittadini A, Biondi B, Palmieri EA, Riccio G, Bone F, et al. Cardiovascular effects of short-term growth hormone hypersecretion. J Clin Endocrinol Metab. 2000;85(1):179–82.
Remerciements
Nous remercions le PD Dr méd. Rainer Zbinden, chef du service de la cardiologie, et le Prof. Dr méd. Z. Szücs, chef du service de radiologie, du Centre hospitalier Bienne.
Ethics Statement
Un consentement éclairé écrit est disponible pour la publication.
Conflict of Interest Statement
Les auteures et l’auteur ont déclaré ne pas avoir de conflits d’intérêts potentiels.
Author Contributions
EM et TB ont conceptualisé et conçu le rapport de cas, recueilli et interprété les données cliniques et dirigé la rédaction du manuscrit. Ils ont contribué à la recherche bibliographique, ont fourni des informations sur les aspects diagnostiques et thérapeutiques du cas et ont participé à la révision du manuscrit. SF a apporté une contribution essentielle à l’analyse et à l’interprétation des informations cliniques et a révisé le manuscrit sur le plan intellectuel.
Tous les auteurs et auteures ont participé à la prise en charge du patient et ont contribué à l’acquisition des données cliniques. Ils ont tous revu et approuvé la version finale du manuscrit et ont accepté d’être responsables de l’exactitude et de l’intégrité du rapport de cas.

Avec la fonction commentaires, nous proposons un espace pour un échange professionnel ouvert et critique. Celui-ci est ouvert à tous les abonné-e-s SHW Beta. Nous publions les commentaires tant qu’ils respectent nos lignes directrices.