La transplantation de microbiote fécal dans la maladie de Parkinson
Ciblant la dysbiose intestinale
Peer-review

La transplantation de microbiote fécal dans la maladie de Parkinson

Innovations
Édition
2024/08
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2024.1157578842
Forum Med Suisses. 2024;24:1157578842

Affiliations
a Unité des troubles du mouvement, Service de neurologie, Département des neurosciences cliniques, Hôpitaux universitaires de Genève, Genève
b Unité des mouvements anormaux, Département de neurologie, Centre hospitalier universitaire vaudois, Lausanne
c Zentrum für Parkinson und Bewegungsstörungen, Universitätsklinik für Neurologie, Inselspital, Bern
d Neuropsychosomatik, Universitätsklinik für Neurologie, Inselspital, Bern
e Universität Bern, Bern
f Faculté de médecine, Université de Genève, Centre Médical Universitaire, Genève

Publié le 26.08.2024

Une dysbiose intestinale a été démontrée chez les patientes et patients parkinsoniens. La transplantation de microbiote fécal pourrait-elle modifier le microbiote intestinal et constituer ainsi une nouvelle option thérapeutique? Des études portant sur ce sujet sont en cours.

Introduction

La maladie de Parkinson (MP) est la deuxième maladie neurodégénérative la plus fréquente après la maladie d’Alzheimer, touchant environ 8,5 millions de personnes dans le monde. Son impact important sur les patientes et patients, leurs proches et la société souligne le besoin de nouveaux traitements innovants, qui pourraient modifier la trajectoire de la maladie. Cependant, la découverte de traitements curatifs est entravée par l’absence de connaissance des causes de la MP. Hormis les cas génétiques monogéniques (environ 5% des patientes et patients), la MP est dans la vaste majorité des cas d’origine multifactorielle, impliquant une interaction complexe entre une prédisposition génétique, des facteurs environnementaux, des facteurs épigénétiques et les processus liés à l’âge [1].
L’intestin est colonisé par un microbiote complexe qui a un impact sur le développement et le fonctionnement des systèmes immunitaire, métabolique et nerveux. Une dysbiose intestinale (c’est-à-dire un déséquilibre de la composition de la communauté microbienne) et la modification subséquente des métabolites microbiens ont été démontrées chez les personnes atteintes de MP [2]. Trois méta-analyses ont permis d’identifier une signature taxonomique spécifique de la MP [3–5]. Certaines bactéries corrèlent avec les symptômes de la MP et sa sévérité [6, 7]. D’autres sont capables de métaboliser la lévodopa en dopamine dans la lumière intestinale, altérant ainsi l’absorption digestive de la lévodopa et induisant aussi un ralentissement de la motricité digestive via l’action de la dopamine intraluminale [8, 9]. Plusieurs études expérimentales suggèrent un rôle du microbiote intestinal dans la physiopathologie de la MP via l'axe intestin-cerveau. La dysbiose serait au bénéfice des bactéries à potentiel pro-inflammatoire et au détriment des bactéries à potentiel anti-inflammatoire [10]. Elle perturberait la fonction de la barrière intestinale, augmentant la perméabilité intestinale et facilitant le passage de toxines et de protéines amyloïdes bactériennes [11, 12]. Elle déclencherait une activation immunitaire et favoriserait l’inflammation locale et systémique [13]. Or, l’inflammation est un mécanisme important dans la pathophysiologie de la MP [14]. Elle favorise l'agrégation d'α-synucléine phosphorylée (αsyn), dépôt pathologique au cœur de la pathogenèse de la MP, dans le système nerveux périphérique autonomique. L’αsyn se propage ensuite vers le système nerveux central (SNC) d’une manière «prion-like»[12].
Par conséquent, la modification du microbiote intestinal par la transplantation de microbiote fécal (TMF) pourrait constituer une stratégie de traitement intéressante.

Mécanisme d’action et administration

La TMF est le transfert de microbiote extrait de selles d’un donneur sain / d’une donneuse saine, dans le tractus gastro-intestinal de patientes et patients avec MP, par la voie digestive. Les TMF proviennent généralement de banque de selles. Il existe différentes voies d’administration: voie nasojéjunale, colonoscopie, perfusion intracaecale par exemple. La TMF vise à rétablir une communauté normale de microbiote.

Résultats des études scientifiques

La TMF a prouvé son potentiel positif dans les infections à Clostridium difficile et d'autres troubles tels que le syndrome du côlon irritable, où la dysbiose intestinale est présente [15].
Concernant la MP, l’horizon est prometteur. Pour le moment, la TMF n’est pas fait en routine mais dans le cadre d’études, chez l’animal et chez l’humain.
Tout d’abord, des études animales réalisées dans un modèle murin de MP (Thy1-αsyn) surexprimant l’αsyn humaine, ont permis de comprendre que le microbiote intestinal est nécessaire pour l’apparition du déficit moteur, celui-ci n’apparaissant pas chez les mêmes souris «germ-free» (c.-à.-d sans exposition au microbiote). Le microbiote intestinal est aussi nécessaire pour l'activation de la microglie et l’apparition des dépôts pathologiques d’αsyn dans le SNC. Le traitement antibiotique améliore la neuroinflammation [16]. La TMF provenant soit d’humains sains soit de patientes et patients parkinsoniens chez deux types de souris, les souris Thy1-αsyn et des souris saines, a montré de façon remarquable, que la colonisation des souris Thy1-αsyn avec du microbiote provenant de patientes et patients parkinsoniens aggravent le déficit moteur par rapport aux TMF provenant de donneuses et donneurs humains sains [16]. Aucun effet notable sur la fonction motrice n’était par contre déclenché par la TMF provenant de donneuses et donneurs parkinsoniens chez les souris sans anomalie génétique [16]. Cela suggère que le microbiote issu de personnes avec MP contribue aux symptômes de la maladie chez les hôtes génétiquement vulnérables. Le microbiote n’est donc pas une cause mais plutôt un facteur de risque de la MP. La même équipe a ensuite manipulé le type de microbiote implanté. Elle a montré qu’un microbiote enrichi en bactéries produisant des protéines amyloïdes, aggrave le déficit moteur, l’agrégation d'αsyn et l’inflammation dans l’intestin et le cerveau des souris génétiquement vulnérables [12]. L’inhibition de la formation d’amyloïde dans l’intestin par la prise d’épigallocatéchine gallate (un polyphénol alimentaire d'origine végétale, présent notamment dans le thé vert), diminuait les troubles moteurs et l’agrégation d’αsyn intracérébrale [12]. Une autre équipe a montré que la roténone (un pesticide constituant un facteur de risque de la MP) induit une dysbiose, favorisant les symptômes moteurs dans un autre type de modèle murin de MP (modèle rotenone) [17]. La TMF restaurait le microbiote sain et améliorait la perméabilité intestinale, la dysfonction intestinale et les symptômes moteurs de ces souris. La TMF diminuait aussi les niveaux de lipopolisaccharide (une endotoxine bactérienne favorisant l’inflammation), coliques, sériques et cérébraux, l’inflammation intestinale et cérébrale, et améliorait la fonction de la barrière hémato-encéphalique [17].
Chez l’humain, la première étude randomisée, en double aveugle et contrôlée par placebo (phase 2) a été publiée en 2024 (essai GUT-PARFECT) [18]. Elle confirme les études antérieures, de sécurité, non contrôlées réalisées sur des petits groupes de patients (6–15 personnes) [19–21]. Les 46 participantes et participants (âgés de 50–65 ans, stade 2 de Hoehn et Yahr) ont reçu une TMF nasojéjunale avec des selles de donneuses et donneurs sains (traitement actif) ou leurs propres selles (placebo) [18]. Après 12 mois, le score moteur MDS-UPDRS III («The Movement Disorder Society Unified Parkinson’s Disease Rating Scale—part III») s’améliorait d’une moyenne de 5,8 points (intervalle de confiance [IC] 95% −11,4 à −0,2) dans le groupe des donneuses et donneurs sains et de 2,7 points (−8,3 à 2,9) dans le groupe placebo (p = 0,0235). La constipation et la fatigue s’aggravaient moins vite dans le groupe TMF que le groupe placebo. La TMF était sûre et bien tolérée. Les effets indésirables étaient limités à une gêne abdominale temporaire. Ces résultats soulignent le potentiel de la modulation du microbiome intestinal en tant qu’approche thérapeutique et justifient une exploration plus poussée de la TMF dans des cohortes plus importantes de personnes atteintes de la MP à différents stades de la maladie. Les résultats des analyses séquentielles du microbiome avant et après la TMF permettront d’évaluer l’ampleur et la durée des altérations et éventuellement les corrélations avec les résultats cliniques.
Le microbiote «idéal» du donneur sain / de la donneuse saine, reste aussi à définir [22]. Les études jusqu’à maintenant ont sélectionné les donneuses et donneurs afin d’écarter des maladies inflammatoires ou infectieuses, ainsi que ceux présentant de la constipation. On pourrait imaginer qu’un donneur / une donneuse «idéal(e)» aurait un microbiote très diversifié, de type plutôt anti-inflammatoire, et qu’un facteur de «compatibilité» entre la personne donnante et la personne recevante pourrait aussi être important à déterminer [23].

Conclusion

La TMF constitue une nouvelle piste thérapeutique pour les patientes et patients parkinsoniens. Elle vise à corriger la dysbiose associée à la MP. D’après les premières études réalisées chez l’humain, la TMF est sans danger. Ses effets sur les symptômes moteurs et non-moteurs de la MP sont bénéfiques mais sont à confirmer sur un nombre plus important de patientes et patients. La corrélation entre les effets cliniques bénéfiques, les altérations de la composition du microbiote et les marqueurs inflammatoires doit être étudiée plus avant et validée d’un point de vue physiopathologique. Son rôle sur l’évolution de la maladie reste aussi à déterminer. Les études animales indiquent que la TMF modulerait le niveau d’inflammation et d’agrégation d’αsyn, intestinal et cérébral, via des voies métaboliques diverses, chez des individus prédisposés à la MP. Le microbiote impacte aussi la biodisponibilité des traitements dopaminergiques qui sont métabolisés par certaines bactéries intestinales. Plusieurs études randomisées, contrôlées contre placebo, en double aveugle, sont en cours, et leurs résultats seront certainement déterminant pour la prise en charge des patientes et patients.
Dr méd. Mathilde d’Esneval Unité des troubles du mouvement, Service de neurologie, Département des neurosciences cliniques, Hôpitaux universitaires de Genève, Genève
Dr méd. Vanessa Fleury
Unité des troubles du mouvement
Service de neurologie
Département des neurosciences cliniques
Hôpitaux universitaires de Genève
Rue Gabrielle-Perret Gentil 4
CH-1211 Genève 14
vanessa.fleurynissen[at]hug.ch
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Les auteures ont déclaré ne pas avoir de conflits d’intérêts potentiels.
Author Contribution
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