Soutien médicamenteux lors de l’arrêt du tabagisme
Pharmacothérapie basée sur l’évidence

Soutien médicamenteux lors de l’arrêt du tabagisme

Article de revue
Édition
2023/38
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2023.09473
Forum Med Suisses. 2023;23(38):54-58

Affiliations
a Klinische Pharmakologie und Toxikologie, Universitätsklinik für Allgemeine Innere Medizin, Inselspital, Universitätsspital Bern; b Universität Bern; c Universitäres Herzzentrum, Universitätsspital Zürich (USZ), Zürich; d Klinik für Kardiologie, USZ, Zürich; e Universität Zürich; f Medizinische Poliklinik, Universitätsspital Basel (USB), Basel; g Universitäres Herzzentrum Basel, USB, Basel

Substance active discutée

Publié le 20.09.2023

Arrêter de fumer peut prolonger l’espérance de vie et améliorer la qualité de vie. Comme la nicotine provoque une forte dépendance, cela peut être un processus très difficile pour la plupart des patientes et patients. Dans cette situation, la pharmacothérapie basée sur l’évidence peut contribuer à augmenter les taux d’abstinence.

Introduction

Le tabagisme reste un grave problème de santé publique et provoque chaque année plus de 9000 décès en Suisse [1]. Bien qu’il s’agisse de la principale cause évitable de maladie et de décès prématuré [2–4], environ 30% de la population suisse continue de fumer et ces chiffres sont restés inchangés ces dernières années [1]. La majorité des fumeuses et fumeurs souhaitent arrêter de fumer, mais la dépendance causée par la nicotine et les routines, souvent de longue durée, qui conduisent à la poursuite de la consommation de cigarettes sont très difficiles à surmonter et les taux d’abstinence durable sont très faibles (2–5%), surtout sans soutien médicamenteux [5–7]. Outre les mesures non pharmacologiques telles que la thérapie cognitivo-comportementale et les entretiens de motivation [3, 6], un soutien pharmacologique peut faciliter le sevrage nicotinique et augmenter significativement les chances de réussite de l’arrêt du tabac. Cet article présente les principes de base du soutien médicamenteux pour le sevrage tabagique.

Options médicamenteuses autorisées pour le soutien à l’arrêt du tabac

Parmi les pharmacothérapies actuellement autorisées en Suisse et basées sur l’évidence figurent les substituts nicotiniques, la varénicline, un agoniste partiel des récepteurs nicotiniques de l’acétylcholine (nACh) α4β2, et le bupropion, un inhibiteur de la recapture de la noradrénaline et de la dopamine [8] (tab. 1).
Tableau 1: Aperçu des possibilités de soutien médicamenteux actuellement autorisées en Suisse pour l’arrêt du tabagisme [8, 9]1
ProduitDosagesContre-indications/précautionsInteractionsEffets indésirables
Patchs






Gommes à mâcher

Pastilles

Comprimés
sublinguaux

Spray buccal

Inhalateur
24 heures:fort (1) 21 mg / intermédiaire (2)14 mg / léger (3) 7 mg
16 heures (à retirer avant le coucher): 25 mg / 15 mg / 10 mg
2 mg et 4 mg

1 mg et 2 mg

2 mg


1 mg de nicotine/pulvérisation

Cartouche contenant 10 mg de nicotine
Prudence dans des situations telles que maladies cardiovasculaires sévères, arythmie sévère, angor instable, infarctus du myocarde récent, accident vasculaire cérébral, maladies cutanées systémiques (patch), grossesse/allaitement (envisager un substitut nicotinique si les autres méthodes ne sont pas efficaces [la poursuite de la consommation de cigarettes comme alternative est plus nocive]), privilégier les produits à courte durée d’action) Irritations cutanées (patch), céphalées, vertiges, nausées, palpitations, troubles du sommeil, irritation bouche/gorge, aphtes, hoquet, brûlures d’estomac, salivation abondante, troubles gastro-intestinaux (préparations orales)
Vareniclin
(Champix®)
Jour 1–3: 1 × 0,5 mg, Jour 4–7: 2 × 0,5 mg, puis 2 × 1 mg
pendant 11 semaines
Arrêt du tabac 7–14 jours après le début du traitement
Insuffisance rénale (DFG <30ml/min): maximum 1 mg/jour
Prudence entre autres en cas de troubles psychiatriques, grossesse/allaitement
Adaptation de la dose en cas d’insuffisance rénale sévère
Peut provoquer des vertiges/somnolence (attention: aptitude à la conduite, utilisation de machines)
Excrétion rénale
(>90% sous forme inchangée via OCT2)
Nausées,
insomnies,
rêves anormaux,
céphalées,
troubles neuropsychologiques,
réactions cutanées
Bupropion
(Zyban®)
1 cpr (150 mg/jour) pendant 6 jours, puis 2 cpr/jour (intervalle d'au moins 8 heures) pendant 7–11 semaines
Arrêt du tabac au cours de la 2e semaine de traitement
Insuffisance rénale/hépatique: prudence, dose recommandée 150 mg/jour
Contre-indications:
épilepsie ou risque accru de crises d'épilepsie, cirrhose du foie sévère, trouble bipolaire, combinaison avec des inhibiteurs de la MAO.
Prudence entre autres en cas de grossesse (évaluation du rapport bénéfice/risque)
Substances abaissant le seuil épileptogène (antipsychotiques, éthanol, etc.), inhibiteurs du CYP2D6 (entre autres bêtabloquants), substrats du CYP2B6Insomnie, céphalées,
sécheresse buccale,
nausées,
diminution de l'appétit,
convulsions
1 Pour une liste complète des effets indésirables, des contre-indications et des interactions, il convient de consulter l'information professionnelle officielle [8].CYP: cytochrome P450; DFG: débit de filtration glomérulaire; MAO: monoamine oxydase; OCT: transporteur de cations organiques; cpr: comprimé.

Traitement de substitution nicotinique

Les substituts nicotiniques permettent de compenser la prise de nicotine sans les sous-produits toxiques de la fumée de tabac [5]. En Suisse, les produits disponibles sont les patchs, les gommes à mâcher, les inhalateurs, les sprays buccaux, les pastilles à sucer et les comprimés sublinguaux à la nicotine [8]. Tous sont disponibles en Suisse sans ordonnance, leurs coûts ne sont en principe pas pris en charge par la caisse-maladie (exception possible pour certaines assurances complémentaires). Bien que ces produits permettent une substitution de la nicotine sans inhalation des substances cancérigènes et autres substances toxiques produites par la combustion du tabac, les concentrations plasmatiques maximales de nicotine ainsi obtenues sont plus faibles et l’afflux de nicotine est plus lent que dans le cas du tabagisme, ce qui contribue à réduire le potentiel de dépendance de ces produits [3]. Les substituts nicotiniques peuvent aussi être utilisés dans le cadre d’une hospitalisation pour atténuer les symptômes de sevrage [10] (des patchs nicotiniques ont également été utilisés dans des études chez des patientes et patients souffrant d’un syndrome coronarien aigu [11]). Le nombre de cigarettes par jour et le temps écoulé jusqu’à la première cigarette du matin peuvent servir d’aide pour choisir un dosage suffisant [5, 6, 9, 12]. Les patchs sont disponibles pour une utilisation sur 24 heures (changement chaque matin) ou sur 16 heures (retrait la nuit pour simuler la pause nicotinique pendant le sommeil). Les deux préparations (patchs de 16 et 24 heures) semblent avoir une efficacité similaire [6], le choix entre les deux pouvant dépendre du fait que la personne se lève aussi la nuit pour fumer ou que le patch provoque des problèmes de sommeil la nuit [5, 6]. Les patchs nicotiniques sont disponibles en trois dosages; au début du traitement, il est possible de choisir la dose élevée, avec une réduction progressive ou une diminution au fil du temps. Le patch est un produit à longue durée d’action, les concentrations maximales ne sont atteintes que plusieurs heures après l’application et il n’est pas possible d’adapter la dose si une forte envie de fumer se fait sentir pendant la journée [7, 8, 13]. Par conséquent, un traitement combiné est recommandé, surtout en cas de forte dépendance (>20 cigarettes/jour ou première cigarette dans les 30 minutes suivant le lever), avec le patch servant de base combiné à un produit à action rapide (gommes à mâcher, inhalateur, spray ou pastilles à sucer) pour les «pics» de concentration de nicotine (atteints en 20–30 minutes avec la plupart des produits à action rapide) en cas de besoin pendant la journée. Le traitement combiné est également judicieux en cas de dépendance modérée, car il est supérieur à une monothérapie [3]. Au début de la désaccoutumance tabagique, les produits à action rapide peuvent aussi être utilisés de manière fixe toutes les 1–2 heures, en diminuant la dose au fur et à mesure [6, 8]. Selon des méta-analyses, le traitement de substitution nicotinique peut plus que doubler les taux de réussite de l’arrêt du tabac [9, 14, 15], avec des taux d’abstinence plus élevés en cas de traitement combiné par rapport à une préparation seule [3, 6, 15, 16]. Une durée de substitution de 8–12 semaines est recommandée [6, 8, 9], bien que certains fumeurs et fumeuses pourraient bénéficier d’une durée de traitement plus longue [5–8]. L’arrêt du tabac est le plus souvent recommandé en même temps que le début du traitement, mais ce n’est pas obligatoire. Des études ont parfois montré des résultats positifs avec l’utilisation de patchs avant la date d’arrêt du tabac pour le «prétraitement», comme pour la varénicline ou le bupropion [17]. Les substituts nicotiniques sont généralement bien tolérés; les effets indésirables les plus fréquents sont des irritations locales (buccales ou cutanées) dues à la nicotine; pour cette raison, le site d’application du patch doit être changé chaque jour [6, 8]. La nicotine étant une substance basique, la consommation de boissons acides (café, jus de fruits) doit être évitée juste avant l’utilisation de substituts nicotiniques oraux (réduction de l’absorption de nicotine) [6]. En outre, il faut veiller à une utilisation correcte: pour les gommes à mâcher par exemple, il faut appliquer la technique «park and chew» (mâcher lentement pendant 10–15 secondes, puis déposer entre la gencive et la joue et laisser reposer jusqu’à ce que le goût s’atténue, répéter pendant 20–30 minutes) [9] et pour le spray buccal, il faut pulvériser vers la joue plutôt que vers la gorge afin d’éviter un goût trop fort et des troubles gastriques.
Outre les mesures non pharmacologiques, un soutien pharmacologique peut faciliter le sevrage nicotinique.
© Pixinoo / Dreamstime

Varénicline

La varénicline (commercialisée en Suisse sous le nom de Champix®) est un agoniste partiel des récepteurs nAChα4β2, qui sont impliqués dans la dépendance à la nicotine. La varénicline peut augmenter de plus de deux fois les taux de réussite de l’arrêt du tabac (dans les études, les taux d’abstinence étaient d’environ 40% après trois mois, mais plus faibles [22–25%] après six ou douze mois) [8, 12, 18, 19]. Des taux d’abstinence plus élevés à trois mois (60%) ont été rapportés dans une étude bâloise récemment publiée, mais avec un suivi étroit et des contrôles hebdomadaires (varénicline administrée en plus d’un placebo ou d’un analogue du glucagon-like peptide [GLP]-1, taux d’abstinence similaires dans les deux groupes) [20]. De par son mécanisme d’action, la varénicline peut atténuer les symptômes de sevrage, mais aussi découpler les effets positifs en cas de nouvelle exposition à la nicotine et plus précisément aux cigarettes de tabac. Par rapport aux autres méthodes de traitement, la varénicline semble être plus efficace que le bupropion ou un substitut nicotinique seul et aussi efficace qu’un traitement combiné par substituts nicotiniques [5, 7, 16, 19, 21]. Des taux d’abstinence allant jusqu’à 30–40% ont également pu être atteints chez des patientes et patients modérément motivés pour arrêter de fumer, qui ont accepté de prendre de la varénicline sans préjuger du résultat, c’est-à-dire sans date d’arrêt convenue [22]. Selon des études qui ont évalué le traitement simultané par varénicline et substitut nicotinique (patch), l’association pourrait présenter un avantage en termes de taux d’abstinence, avec toutefois des effets indésirables éventuellement plus nombreux [23].
La varénicline est un dérivé de la cytisine, un alcaloïde naturel de la plante Cytisus laburnum («faux ébénier»), et elle active les récepteurs nACh α4β2 en tant qu’agoniste partiel, avec un effet maximal d’environ 50% par rapport à la nicotine [6]. La posologie suit un schéma (Jours 1–3: 1 × 0,5 mg, Jours 4–7: 2 × 0,5 mg, puis 2 × 1 mg pendant trois mois) et l’arrêt du tabac devrait idéalement avoir lieu au cours de la deuxième semaine de traitement [8]. Un effet indésirable fréquent est la nausée (~30%) [8], qui peut être atténuée en prenant le médicament avec deux verres d’eau ou un repas, ou en réduisant la dose [6, 21]. Des céphalées, des rêves inhabituels/insomnies et des troubles neuropsychologiques sont également signalés [8]. Des signalements antérieurs de dépression voire de suicidalité sous varénicline, qui avaient conduit à un avertissement de type «black box» de la Food and Drug Administration (FDA) américaine de 2009 à 2016, n’ont pas été confirmés par des analyses ultérieures, qui ont montré que les bénéfices l’emportaient sur les risques éventuels [5–7, 21, 24]. Néanmoins, il est toujours recommandé, surtout en cas d’indices de tels symptômes et maladies, d’évaluer les risques et de surveiller étroitement les symptômes neuropsychiatriques pendant le traitement [8]. En ce qui concerne la sécurité cardiovasculaire, de grandes études n’ont pas montré d’augmentation du risque sous varénicline par rapport à d’autres traitements [25] et le médicament a également été étudié chez des patientes et patients immédiatement après un syndrome coronarien aigu [26]. La varénicline est principalement éliminée par voie rénale (>90% sous forme inchangée via le transporteur de cations organiques [OCT] 2), de sorte qu’il n’y a pas lieu de s’attendre à des interactions pharmacocinétiques cliniquement pertinentes avec d’autres substances, mais une réduction de la dose est indiquée en cas d’insuffisance rénale (maximum 1 mg/jour en cas de débit de filtration glomérulaire (DFG) <30 ml/min) [8]. En Suisse, la varénicline figure sur la liste «B+» et peut également être délivrée par les pharmaciennes et pharmaciens, mais avec une documentation et un suivi appropriés [27]. Avec une ordonnance médicale, les frais de traitement peuvent être pris en charge par la caisse-maladie une fois sur une période de 18 mois, si certains critères sont remplis. Ces critères incluent la présence d’une dépendance à la nicotine selon le «Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders» (DSM-IV) ou la Classification internationale des maladies (CIM) (CIM-10) (trois critères ou plus doivent être présents simultanément) et un score ≥6 au test de Fagerström ou une pathologie induite par le tabac [28]. Depuis 2021, Champix® n’est plus disponible en raison d’un rappel de tous les produits dû à un problème de production (contamination par des nitrosamines) [29], ce qui a entraîné une rupture d’approvisionnement pour les fumeuses et fumeurs. La date exacte à laquelle le médicament sera à nouveau disponible en Suisse n’est pas connue, mais selon la dernière demande auprès de l’entreprise, pas avant 2024 (état de l’information: juin 2023). Des génériques tels que l’APO-Varenicline® sont désormais disponibles du Canada (délais de livraison plus longs en cas de commande depuis l’étranger). Les préparations à base de cytisine, qui ne sont pas autorisées en Suisse mais dans d’autres pays européens par l’Agence européenne des médicaments (EMA) (par exemple sous le nom de Desmoxan®/Asmoken® ou Tabex®) et qui sont également fabriquées au Tessin en tant que produit galénique, constituent une autre alternative. Dans des études cliniques, les préparations à base de cytisine se sont révélées aussi efficaces que la varénicline dans le sevrage tabagique [7, 30, 31]. La cytisine est déjà utilisée depuis longtemps, surtout dans les pays d’Europe de l’Est (Tabex® introduit pour la première fois en Bulgarie en 1964, Desmoxan® en Pologne depuis 2013, Cravv® au Canada depuis 2017) [30, 32]. En Allemagne, Asmoken® est également disponible depuis fin 2020 (même fabricant que Desmoxan®). Les préparations à base de cytisine sont prises selon un schéma sur une durée totale de 25 jours; l’arrêt du tabac doit être tenté, si possible, au plus tard au Jour 5 [30]. À titre d’exemple, le schéma pour Asmoken® est le suivant, un comprimé correspondant à 1,5 mg [33]:
Jour 1–3: 1 comprimé toutes les 2 heures, avec une prise répartie sur la phase d’éveil (maximum 6 comprimés)
Jour 4–12: 1 comprimé toutes les 2,5 heures, avec une prise répartie sur la phase d’éveil (maximum 5 comprimés)
Jour 13–16: 1 comprimé toutes les 3 heures (maximum 4 comprimés)
Jour 17–20: 1 comprimé toutes les 5 heures (maximum 3 comprimés)
Jour 21–25: 1 comprimé toutes les 6 heures (2/jour)
Les schémas posologiques sont similaires pour les autres préparations à base de cytisine, mais sur la base des résultats de l’étude ORCA-1, qui a obtenu de bons résultats avec un schéma plus simple de 3 × 3 mg [34], ce schéma posologique plus simple est désormais utilisé dans les études de phase 3. En cas d’échec de l’arrêt du tabac, il est recommandé d’interrompre le traitement et de le réessayer plus tard (après 2–3 mois) [33].
Ces alternatives à Champix® peuvent être importées par des pharmacies en Suisse ou organisées au Tessin (cytisine également disponible sous forme de préparation magistrale); toutefois, comme elles ne sont pas autorisées en Suisse, le traitement est considéré comme un «off-label use». Dans ce cas, la responsabilité incombe uniquement au médecin traitant, d’où l’importance de l’information des patientes et patients et de la documentation. Les expériences concernant la prise en charge des coûts par la caisse-maladie sont encore limitées ou celle-ci peut être tentée par le biais d’une garantie de prise en charge des coûts et d’une argumentation correspondante en l’absence d’alternatives autorisées.

Bupropion

Le bupropion est un inhibiteur de la recapture de la noradrénaline et de la dopamine, autorisé en Suisse sous le nom de Wellbutrin XR® pour le traitement de la dépression et de Zyban® pour le sevrage tabagique [8]. Pour ce dernier, il y a également eu des problèmes d’approvisionnement au cours des derniers mois, mais selon l’entreprise, l’interruption des livraisons est due à des problèmes de logistique et la préparation devrait bientôt être à nouveau disponible (état de l’information: juin 2023). Bien que le bupropion soit le principe actif de Zyban® et de Wellbutrin XR®, il existe des différences entre les deux préparations, notamment en ce qui concerne l’indication autorisée et l’intervalle entre les prises [8]. L’utilisation de Wellbutrin XR® au lieu de Zyban® pour le sevrage tabagique constituerait un «off-label use» (voir ci-dessus), car le premier n’est pas autorisé pour le sevrage tabagique [8]. Dans le cadre du sevrage tabagique, le dosage de Zyban® se fait selon un schéma (1 comprimé à 150 mg/jour pendant 6 jours, puis 2 comprimés/jour pendant 7 semaines), l’arrêt du tabac doit se faire, comme pour la varénicline, lors d’une journée de la deuxième semaine de traitement [8]. Le bupropion peut provoquer comme effets indésirables de l’insomnie (30%), des céphalées (13%), une sécheresse buccale (12%), des nausées/vomissements (10%) et des convulsions (0,1%); les contre-indications sont entre autres une épilepsie connue, un trouble bipolaire, une cirrhose du foie sévère et l’association avec des inhibiteurs de la monoamine oxydase (MAO) [8, 12]. Le bupropion est un substrat du cytochrome P450 (CYP)2B6 et un inhibiteur du CYP2D6, et des interactions pharmacocinétiques avec d’autres substances peuvent donc se produire (par exemple, inhibition de la dégradation de certains bêtabloquants) [8]. En outre, des interactions pharmacodynamiques sont possibles en cas d’association avec des substances abaissant le seuil épileptogène (entre autres neuroleptiques). Le bupropion est délivré sur ordonnance. Comme pour la varénicline, les frais de traitement peuvent être pris en charge par les caisses-maladie une fois par période de 18 mois si les critères mentionnés ci-dessus sont remplis. Selon les études, le bupropion est moins efficace que la varénicline [16, 35], mais il peut aussi être utilisé en combinaison avec un traitement de substitution nicotinique (par exemple pour atténuer les manifestations de craving) [5, 9].

Perspectives: traitements potentiels futurs et possibilités de soutien

Les taux d’abstinence à long terme restent faibles malgré les possibilités de soutien mentionnées ci-dessus, ce qui souligne l’importance d’options thérapeutiques nouvelles ou alternatives qui pourraient être tentées pour des sous-populations spécifiques ou en cas d’échec des méthodes actuellement établies. Outre la cytisine mentionnée ci-dessus, ce sont surtout l’antidépresseur tricyclique nortriptyline et l’agoniste α2-adrénergique clonidine qui représentent actuellement des options thérapeutiques alternatives potentielles. Tous deux ne sont actuellement pas autorisés pour l’arrêt du tabagisme, mais selon les données actuelles (encore peu nombreuses), ils semblent augmenter les taux d’abstinence [16, 35]. Pour les deux, les effets indésirables possibles pourraient constituer un inconvénient ou une limite à leur utilisation (avant tout effets anticholinergiques pour la nortriptyline, sédation pour la clonidine) [16, 35]. Les vaccins anti-nicotine avec des anticorps qui fixent la nicotine en périphérie et réduisent les effets euphorisants centraux pourraient représenter une nouvelle approche dans le traitement de sevrage tabagique, mais aucun n’a été autorisé à ce jour [36].
Les cigarettes électroniques (appelées e-cigarettes, vapoteuses ou vaporettes) sont des appareils électroniques qui vaporisent un liquide («e-liquide») contenant le plus souvent de la nicotine et permettent ainsi une absorption de nicotine, en grande partie sans produire de substances cancérigènes par combustion du tabac. Bien qu’elles puissent constituer une option de soutien ou une alternative, par exemple pour les patientes et patients qui ne tolèrent pas ou n’acceptent pas les méthodes déjà établies (varénicline, bupropion, substituts nicotiniques), les données sur leur efficacité pour arrêter de fumer et surtout sur les risques à long terme pour la santé sont encore limitées. Ces produits ne sont donc actuellement pas mentionnés ou recommandés dans les recommandations officielles pour l’arrêt du tabagisme de la plupart des pays (exception: par exemple Royaume-Uni). Selon un article de revue Cochrane [37], régulièrement mis à jour pour inclure de nouvelles études, les e-cigarettes utilisant des e-liquides avec de la nicotine semblent être plus efficaces que les substituts nicotiniques, sans provoquer d’effets indésirables pertinents lorsqu’elles sont utilisées correctement (les cas de lésions pulmonaires liées aux e-cigarettes aux États-Unis en 2019 ont été ultérieurement associés à des solutions de cannabis ou à des impuretés d’acétate de vitamine E [37]). Davantage d’études et de données à long terme sont cependant nécessaires avant de pouvoir émettre des recommandations définitives. Le fait que les e-cigarettes ne soient pas un dispositif médical, mais un marché extrêmement dynamique avec de très nombreux produits non standardisés, complique encore la situation. Les fumeuses et fumeurs qui souhaitent tenter d’arrêter de fumer avec des cigarettes électroniques devraient être informés qu’il faut éviter le «dual use» du tabac et des cigarettes électroniques, étant donné que l’exposition aux carcinogènes reste alors pratiquement inchangée [38] et que le risque de complications cardiovasculaires lié au tabac n’évolue pas de manière linéaire (déjà avec une seule cigarette, environ 50% du risque lié à 20 cigarettes/jour) [39].

Marche à suivre pratique

L’arrêt du tabagisme peut réduire les risques pour la santé et augmenter l’espérance et la qualité de vie dans tous les groupes d’âge. Il est donc recommandé à tous les médecins de demander à leurs patientes et patients s’ils fument et de leur recommander clairement d’arrêter de fumer [7, 9]. À cet égard, il est possible de s’inspirer du modèle des «5A» [7, 9, 40]:
Ask: Identification des fumeuses et fumeurs
Assess: Évaluation de la dépendance, de la motivation et des tentatives antérieures d’arrêt du tabagisme
Advise: Recommandation claire d’arrêter de fumer
Assist: Soutien à l’arrêt du tabac
Arrange follow-up: Accompagnement dans le cadre de contrôles de suivi
La dépendance peut être évaluée à l’aide du questionnaire de Fagerström [41], ou simplement en posant des questions sur le nombre de cigarettes/jour et le temps écoulé jusqu’à la première cigarette du matin. Bien que le conseil pour l’arrêt du tabac soit en principe une prestation de la médecine de premier recours, il est possible, en cas de manque de temps dans le quotidien clinique ou de connaissances insuffisantes sur les différentes possibilités de soutien du sevrage tabagique, de suivre le modèle «AAR» (Ask-Advise-Refer) en adressant les patientes et patients à des spécialistes pour la suite du traitement [6, 7]. Des consultations d’arrêt du tabagisme sont proposées dans la plupart des hôpitaux universitaires et cantonaux, mais aussi dans les hôpitaux régionaux, les cliniques spécialisées et les cabinets médicaux, parfois avec un service pour des groupes de patientes et patients particuliers comme les femmes enceintes. Outre ces consultations, il est également possible de recommander aux patientes et patients les offres de conseils pour arrêter de fumer proposées par les professionnels de la santé de la Ligue pulmonaire et de la Ligue contre le cancer, les consultations téléphoniques (ligne stop-tabac: 0848 000 181) et les interventions basées sur internet (par exemple www.stop-tabac.ch). La combinaison de la pharmacothérapie et de la thérapie comportementale peut encore augmenter davantage le taux d’abstinence [42]; les personnes souhaitant arrêter de fumer devraient, dans la mesure du possible, se voir proposer les deux stratégies de traitement.

L’essentiel pour la pratique

Il peut être très difficile d’arrêter de fumer durablement en raison de la forte dépendance à la nicotine, mais un soutien médicamenteux peut plus que doubler les chances de réussite.
Sur la base des études, le premier choix est la varénicline ou les substituts nicotiniques combinés (formes à longue durée d’action [patchs] + à courte durée d’action [comme les gommes à mâcher, les sprays buccaux, les inhalateurs]); les alternatives (en fonction des coûts, des préférences des personnes concernées, des comorbidités, des effets indésirables, etc.) sont le bupropion (Zyban®) ou un substitut nicotinique seul.
À la place de Champix® (problèmes de livraison actuels), il est possible d’utiliser la cytisine ou un générique de la varénicline provenant de l’étranger.
Prof. Dr méd. Evangelia Liakoni
Klinische Pharmakologie und Toxikologie, Universitätsklinik für Allgemeine Innere Medizin, Inselspital, Universitätsspital Bern, Bern
EL remercie la pharmacie de l’Hôpital de l’Île pour ses inlassables demandes auprès des entreprises concernant la disponibilité des différents produits.
EL a déclaré un soutien académique pour l'étude de la pharmacologie et de la toxicologie des e-cigarettes, ainsi que des conférences et des ateliers sur le thème du sevrage tabagique et des systèmes de délivrance de nicotine lors d'événements académiques. EL, IS et TB ont déclaré ne pas avoir de conflits d’intérêts potentiels en rapport avec cet article.
Prof. Dr méd. Evangelia Liakoni
Klinische Pharmakologie & Toxikologie
Universitätsklinik für Allgemeine Innere Medizin
Universitätsspital, Inselspital Bern
CH-3010 Bern
evangelia.liakoni[at]insel.ch
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